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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

L’œil de la pauvre fille n’est pourtant point hagard ; il est plein d’amertume, de reproche et de douleur, plein du sentiment d’une si grande ingratitude !… Du reste, le temps a frappé, non moins que le malheur. Les traits grossis ont pris quelque chose de matériel. Sauf les cheveux noirs serrés d’un fichu, tout est abandonné, le sein nu, dernière beauté qui reste, sein conservé de formes pures, fermes et virginales, comme pour témoigner que l’infortunée, prodiguée aux passions des autres, elle-même usa peu de la vie.

Pour comprendre cette femme, il faudrait bien connaître son pays, le pays wallon, de Tournai jusqu’à Liège, connaître surtout Liège, notre ardente petite France de Meuse, avant-garde jetée si loin au milieu des populations allemandes des Pays-Bas. J’ai conté sa glorieuse histoire au quinzième siècle, quand, brisée tant de fois, jamais vaincue, cette population héroïque d’une ville combattit un empire, quand trois cents Liégeois, une nuit, forcèrent un camp de quarante mille hommes pour tuer Charles-le-Téméraire (Histoire de France, t. VI.) Dans nos guerres de 93, j’ai dit comment un ouvrier wallon, un batteur de fer de Tournai, le ferblantier Meuris, par un dévouement qui rappelle celui de ces trois cents, sauva la ville de Nantes, comment la Vendée s’y brisa pour le salut de la France. (Histoire de la Révolution.)

Pour comprendre Théroigne, il faudrait connaître encore le sort de la ville de Liège, ce martyr de la liberté au commencement de la Révolution. Serve de la pire tyrannie, serve de prêtres, elle s’affranchit