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LES DAMES JACOBINS

innocentes fédérations qui la tireront de ce pas. Il faut des associations tout autrement fortes. Il faut les jacobins, des associations de surveillance sur l’autorité et ses agents, sur les menées des prêtres des nobles. Ces sociétés se forment d’elles-mêmes et par toute la France.

Je vois dans un acte inédit de Rouen que, le 14 juillet 1790, trois amis de la Constitution (c’est le nom que prenaient alors les jacobins) se réunissent chez une dame veuve, personne riche et considérable de la ville ; ils prêtent dans ses mains le serment civique. On croit entendre Caton et Marcie dans Lucain :

Junguntur taciti contentique auspice Bruto.

Ils envoient fièrement l’acte de leur fédération à l’Assemblée nationale, qui recevait en même temps celui de la grande fédération de Rouen, où parurent les députés de soixante villes et d’un demi-million d’hommes.

Les trois jacobins sont un prêtre, aumônier de la Conciergerie, et deux chirurgiens. L’un d’eux a amené son frère, imprimeur du roi à Rouen. Ajoutez deux enfants, neveu et nièce de la dame, et deux femmes, peut-être de sa clientèle ou de sa maison. Tous les huit jurent dans les mains de cette Cornélie, qui, seule ensuite, fait serment.

Petite société, mais complète, ce semble. La dame (veuve d’un négociant ou armateur) représente les grandes fortunes commerciales ; l’imprimeur, c’est l’industrie ; les chirurgiens, ce sont les capacités, les talents, l’expérience ; le prêtre, c’est la Révolution