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LES SOLDATS DE LA RÉVOLUTION

Les nations oublient si vite qu’on se figure la France, en ces premiers temps, telle qu’elle fut au bout de vingt années de guerre.

On parle des premières campagnes comme si les généraux d’alors avaient eu sous la main le magnifique et docile instrument des victoires de l’empire, comme si tout d’abord était sortie de terre la parfaite armée d’Austerlitz.

Ils firent de grandes choses, souvent avec peu de moyens, souvent avec des foules qui n’étaient nullement des armées, avec des populations toutes neuves à la guerre, frémissant d’un souffle de liberté indomptable, ne respirant qu’égalité.

Eux-mêmes ils la voulaient, l’égalité, plus que personne. Ils mangeaient le pain du soldat. Les vins, les choses délicates, tout ce qu’on leur offrait, ils l’envoyaient aux hôpitaux. Leur désintéressement va à un point qui nous fait sourire aujourd’hui. Hoche, général de trois armées, dictateur de la Vendée et de la Bretagne, étant malade de ses fatigues, se croit tenu d’écrire au Directoire qu’il prend quelques livres de sucre aux magasins immenses délaissés sur la plage par l’expédition des Anglais.

Nous venons de montrer le modèle de la simplicité républicaine, La Tour d’Auvergne, qui évita l’avancement, éluda tous les grades et réussit à n’être rien. Plus tard, le général Desaix ne voulut jamais commander qu’en second. Kléber refusa plusieurs fois le rang de général en chef ; en Vendée, il le fit donner à son ami le jeune Marceau, lui laissant tout l’honneur, ne partageant que le péril et la responsabilité.