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MORT DE CHARLOTTE CORDAY

où parlait une âme tendre autant qu’intrépide !… Ô souvenir immortel ! émotions douces et amères que je n’avais jamais connues !… Elles soutiennent en moi l’amour de cette Patrie pour laquelle elle voulut mourir, et dont, par adoption, moi aussi je suis le fils. Qu’ils m’honorent maintenant de leur guillotine, elle n’est plus qu’un autel ! »

Âme pure et sainte, cœur mystique, il adore Charlotte Corday, et il n’adore point le meurtre.

« On a droit sans doute, dit-il, de tuer l’usurpateur et le tyran, mais tel n’était point Marat. »

Remarquable douceur d’âme. Elle contraste fortement avec la violence d’un grand peuple qui devint amoureux de l’assassinat. Je parle du peuple girondin, et même des royalistes. Leur fureur avait besoin d’un saint, et d’une légende. Charlotte était un bien autre souvenir, d’une tout autre poésie, que celui de Louis XVI, vulgaire martyr, qui n’eut d’intéressant que son malheur.

Une religion se fonde dans le sang de Charlotte Corday la religion du poignard.

André Chénier écrit un hymne à la divinité nouvelle :

Ô vertu ! le poignard, seul espoir de la terre,
Est ton arme sacrée !

Cet hymne, incessamment refait en tout âge et dans tout pays, reparaît au bout de l’Europe, dans l’Hymne au poignard, de Pouchkine.

Le vieux patron des meurtres héroïques, Brutus, pâle, souvenir d’une lointaine Antiquité, se trouve transformé désormais dans une divinité nouvelle