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Mme ROLAND

savent point quelle carrière leur est réservée… Si je n’avais considéré que ce que je pouvais vous mander, je me serais abstenue de vous écrire ; mais sans avoir rien à vous apprendre, j’ai eu foi à l’intérêt avec lequel vous recevriez des nouvelles de deux êtres dont l’âme est faite pour vous sentir, et qui aiment à vous exprimer une estime qu’ils accordent à peu de personnes, un attachement qu’ils n’ont voué qu’à ceux qui placent au-dessus de tout la gloire d’être justes et le bonheur d’être sensibles. M. Roland vient de me rejoindre, fatigué, attristé… » etc.

Nous ne voyons pas qu’il ait répondu à ces avances. Du Girondin au Jacobin il y avait différence, non fortuite, mais naturelle, innée, différence d’espèce, haine instinctive, comme du loup au chien. Mme Roland, en particulier, par ses qualités brillantes et viriles, effarouchait Robespierre. Tous deux avaient ce qui semblerait pouvoir rapprocher les hommes, et qui, au contraire, crée entre eux les plus vives antipathies : avoir un même défaut. Sous l’héroïsme de l’une, sous la persévérance admirable de l’autre, il y avait un défaut commun, disons-le, un ridicule. Tous deux, ils écrivaient toujours, ils étaient nés scribes. Préoccupés, on le verra, du style autant que des affaires, ils ont écrit la nuit, le jour, vivant, mourant ; dans les plus terribles crises, et presque sous le couteau, la plume et le style furent pour eux une pensée obstinée. Vrais fils du dix-huitième siècle, du siècle éminemment littéraire et bellétriste, pour dire comme les Allemands, ils gardèrent ce caractère dans les tragédies d’un autre âge. Mme Roland, d’un cœur tranquille, écrit, soigne, caresse ses admirables portraits,