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LE PEUPLE

telle nature, comme vous diriez les sept collines pour cette petite Rome, ou pour notre France la mer et le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; ce sont là nos sept collines.

C’est une force, pour toute vie, de se circonscrire, de couper quelque chose à soi dans l’espace et dans le temps, de mordre une pièce qui soit sienne, au sein de l’indifférente et dissolvante nature qui voudrait toujours confondre. Cela, c’est exister, c’est vivre.

Un esprit fixé sur un point ira s’approfondissant. Un esprit flottant dans l’espace se disperse et s’évanouit. Voyez, l’homme qui va donnant son amour à toutes, il passe sans avoir su l’amour ; qu’il aime une fois et longtemps, il trouve en une passion l’infini de la nature et tout le progrès du monde[1].

La Patrie, la Cité, loin d’être opposées à la nature, sont pour cette âme de peuple qui y réside l’unique et tout-puissant moyen de réaliser sa nature. Elle lui donne à la fois et le point de départ vital et la liberté de développement. Supposez le génie athénien, moins Athènes : il flotte, il divague, se perd, il meurt inconnu. Enfermé dans ce cadre étroit, mais heureux, d’une telle Cité, fixé sur cette terre exquise où l’abeille cueillait le miel de Sophocle et de Platon, le génie puissant d’Athènes, d’une imperceptible ville, a

  1. La patrie (la matrie, comme disaient si bien les Doriens) est l’amour des amours. Elle nous apparaît dans nos songes comme une jeune mère adorée ou comme une puissante nourrice qui nous allaite par millions… Faible image ! non seulement elle nous allaite, mais nous contient en soi : In ea movemur et sumus.