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s’attrister les grandes ombres qui tombent des monts. Et les âmes neuves encore, qui n’y sentent que l’aurore et l’aube, s’y ouvrent à des joies charmantes de tendresse religieuse : tendresse pour l’âme du monde, tendresse pour ses moindres enfants. Le lieu favori de nos promenades et notre cabinet d’étude était un petit bois de sapins assez élevé au-dessus du lac, derrière le rocher de Seeburgh. On y montait par deux routes doublement lumineuses de la réflexion immense du miroir splendide où se mirent les Quatre-Cantons. Nul paysage plus aimable, en le regardant vers Lucerne ; nul plus sérieux, plus solennel, du côté où la vue s’enfonce vers le Saint-Gothard et l’amphithéâtre des monts. Mais cet éclat, ces grandeurs, finissaient tout à coup au premier pas sous nos sapins. On se fût cru au bout du monde. La lumière baissait, les bruits semblaient diminués la vie même paraissait absente. C’est l’effet ordinaire de ces bois au premier regard. Au second, tout change. L’étouffement ou du moins la subordination qu’impose le sapin aux autres végétaux qui voudraient grandir sous son ombre, éclaircit l’intérieur ; et, quand les yeux se sont habitués à cette sorte de crépuscule, on voit bien mieux au loin, on observe bien mieux que dans le pêle-mêle inextricable des forêts ordinaires, où tout vous fait obstacle. Ce que celle-ci nous présentait d’abord sous ses nobles et funèbres colonnes, qu’on aurait dites d’un temple, c’était un spectacle de mort, mais d’une mort nullement attristante, d’une mort parée, ornée et riche, comme la nature l’accorde souvent aux végétaux. A chaque pas, de vieux troncs d’arbres coupés,