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partout dominent le paysage avertissent de ne pas trop se fier à la saison, vous disent que vous êtes dans un froid pays. Une certaine rudesse barbare se mêle aussi à bien des choses. C’est justement du midi que vient le souffle d’hiver. Devant moi, pour me tenir une constante compagnie, se dressait sur l’autre rive le sombre Pilate, montagne sèche à vives arêtes taillées au rasoir, et, par-dessus sa noire épaule, la blanche Vierge et Pic d’argent (Jungfrau et Silberhorn) me regardaient de dix lieues. Cela est très beau, très frais en juillet, souvent déjà froid en septembre. Vous sentez sur vous, derrière vous, à une énorme hauteur, une mer d’eau suspendue. C’est le réservoir principal d’où sortent les grands fleuves de l’Europe, la masse du Saint-Gothard, plateau de dix lieues en tous sens, qui par un bout verse le Rhône, par l’autre le Rhin, par un troisième la Reuss, et vers le midi le Tessin. On ne voit pas ce réservoir, sinon un peu de profil, mais on le sent. Voulez-vous des eaux ? venez là. Buvez, c’est la plus grande coupé qui abreuve le genre humain. Je commençai d’avoir moins soif. En plein été, les nuits étaient froides, fraîches les matinées, les soirées. Ces neiges mmaculées, que je regardais avidement et d’un œil insatiable, me purifiaient, ce semble, de la longue route poudreuse, hâlée, sanglante et sublime, mais bourbeuse aussi parfois, des révolutions de l’histoire. Je repris un peu d’équilibre entre le drame du monde et l’épopée éternelle. Quoi de plus divin que ces Alpes ? Quelque part je les appelai « l’autel commun de l’Europe ». Pourquoi ? Non pour leur hauteur. Un peu plus haut, un