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dans leur pays gardent encore quelque tenue, respectent un peu les convenances, en Suisse se croient libres de tout.

Cessons de profaner les Alpes. N’emportons pas dans la montagne les esprits grossiers de la plaine. Tâchons que ce pèlerinage soit du moins un sursis aux vices, un moment de dignité.

Il faut les respecter, ces lieux. Le premier égard qu’on leur doit, c’est de n’y pas apporter la littérature énervante, maladive, de notre époque. Des écrivains même éminents, des génies qu’on peut admirer, par leurs artifices subtils, leur recherche, contrastent trop, sont indignes d’être lus ici. Partout ailleurs à la bonne heure. Peu de livres, je vous prie. Quelques-uns d’histoire naturelle, ou de simples et belles chroniques, c’est beaucoup. Tout livre humain est petit en présence de ce grand livre, vivant, imposant, si pur. Devant lui, tout fait pitié.

Les livres, même religieux, mystiques, ici sont de trop. Les religions spéciales ont la voix faible, souvent fausse, devant cette haute religion qui les domine, les embrasse. Dieux du monde, faites silence. Laissez-moi entendre Dieu.

La grandeur austère des Alpes, la poésie immaculée de ces vierges sublimes, doit tenir bien à distance nos faiblesses et nos romans. Il faut être bien hardi pour compter, en présence de leur éternité, sa misérable personne, apporter là ses petitesses, ses nervosités d’oisif, ces maladies qu’on devrait plutôt cacher. Que fait l’ennui d’Obermann dans ces lieux pleins d’action, dans le berceau mémorable des libertés de l’Europe, dans cette rude vie de montagne où