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Quatre-Cantons croise ses bras héroïques, s’arrêta, y fut saisi d’un mouvement religieux, frémit d’une horreur sacrée. Ce n’était pas un roi, un prince ; ce n’était qu’un philosophe. Mais il ne put pas souffrir que les trois hommes du Rütli qui jurèrent la liberté suisse n’eussent encore aucun monument. Il resta là, leur bâtit dans une île une pyramide, qu’on y voyait encore naguère. Depuis, la foudre la brisa. Les ennemis de la liberté en ont effacé les restes. Mais ils n’effaceront pas ce beau fait et la trace qu’il laisse dans la littérature. Ce Français, homme de talent, sans génie, avait un cœur surabondant, débordant. Ce cœur, inspiré de la Suisse, y puisa l’idée du livre qui, vingt années, a été comme une bible des deux mondes.

Faible livre, mais beau souvenir. Il montre combien les cœurs, naïfs encore, en un temps que l’on croit si corrompu, trouvaient dans ces lieux leur essor. Tel, descendant de leurs glaciers, en rapportait leur âme austère. Tel, en voyant leurs pics sublimes, sentait un élan héroïque. Et tous en revenaient plus grands.

Ce souvenir contraste fort avec ce qu’on voit aujourd’hui, avec les foules mondaines, la tourbe bruyante, qui afflue l’été à Chamounix, Interlaken, qui prend d’assaut l’Oberland, qui de sa vulgarité prosaïse ces nobles déserts. Est-ce l’amour de la nature, un sens nouveau, qui tout à coup s’est développé chez eux ? Est-ce un mâle élan vers les choses hardies, dangereuses et pénibles ? On voudrait le croire. Un Tyndall, deux ou trois noms honorés, ne peuvent faire illusion. Ce que l’on voit, pour la masse, c’est que ceux qui