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sède, outre les organes de la vie habituelle, ce qu’ont les hauts animaux, des organes supplémentaires pour réparer ses ruines, relever ses défaillances, des forces imprévues, cachées, qui, dans les jours d’affaissement lui reviennent de source inconnue.

Si, d’un regard ferme et calme, on envisage le monde, on distinguera sans peine que notre décadence ne peut se comparer à celle du passé, la Chinoise ou la Byzantine, dont la stérilité fut le signe décisif. Les faiblesses du caractère n’ont pas empêché l’esprit de rester puissant, fécond. Ces faiblesses même, on peut le dire, viennent en partie de l’alibi, de l’immense éparpillement où nous mettent ces œuvres infinies, tous ces arts créés d’hier au prodigieux laboratoire de notre ancien continent.

La vigueur américaine (ce bel élan qui nous ravit, fait notre espoir, notre joie) ne m’empêche pas de croire que le haut sensorium de la terre est encore ici, dans la vieille mère Europe. Ses quatre phares réverbérés (de la France et de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie) lui donnent par leurs rayons croisés une lumière infiniment vive pour se connaître elle-même, se pénétrer profondément, distinguer les maux, les remèdes. L’Europe est puissamment lucide. Son génie si inventif, qui perce jusqu’au fond des choses, ne peut manquer de retourner sur lui-même et de voir dans l’homme. Parmi tant d’arts qu’il a créés, un art surgira, le plus haut, celui qui refait l’âme.

Je sais que, pour celui-ci, la condition suprême (difficile) serait d’arrêter un moment la vertigineuse