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le moderne, délicate, éthérée, n’est plus cette fille rouge. La vie des nerfs est tout en elle. Son sang n’est que mouvement et action. Il est dans sa vive imagination, sa mobilité cérébrale ; il est dans cette grâce nerveuse, d’une morbidesse maladive ; il est dans sa parole émue et parfois scintillante ; il est surtout dans ce profond regard d’amour qui tantôt enlève et enchante, tantôt trouble, et plus souvent touche, va au cœur et ferait pleurer.

Voilà ce que nous aimons, rêvons, poursuivons, désirons. Et maintenant, au mariage, par une bizarre inconséquence, nous oublions tout cela, et nous cherchons la fille des fortes races, la vierge des campagnes, qui, surtout dans nos villes, oisive et surnourrie, aurait en abondance la rouge fontaine de vie.

L’avènement de la force nerveuse, la déchéance de la force sanguine, préparée de longue date, est du reste un fait de ce temps. Si l’illustre Broussais revenait, où trouverait-il chez notre génération (j’entends des classes cultivées) les torrents de sang qu’il tira, non sans succès, des veines des hommes d’alors ? Changement fondamental, en mal ? en bien ? on peut en discuter. Mais, ce qui est sûr, c’est que l’homme s’est affiné et fait esprit. Une éruption non interrompue de grandes œuvres et de découvertes a signalé ces trente années.

Tout a changé. La femme aussi. Elle a lu, et s’est cultivée, mal, si l’on veut, mais cultivée pourtant. Elle a vécu de nos pensées. La demoiselle en fait mystère, mais qui ne lit dans ses yeux, dans sa physionomie, souvent trop expressive, dans sa délicatesse souffrante ? Ta fiancée n’a craint rien plus que