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métamorphoses d’une seule, que par l’essai brutal d’une infinité de femelles. Pour l’homme, l’amour est un voyage de découvertes, en un petit monde infini, et qui reste infini, étant toujours renouvelé. C’est (pour tout dire d’un mot), de mystère en mystère, l’éternel approfondissement de l’objet aimé toujours nouveau et toujours insondé ; pourquoi ! Parce qu’on y crée toujours.

Les premiers temps sont de vertige, d’aveugle élan ; oserais-je le dire ? c’est un temps d’histoire naturelle. Dans ces premières morsures au fruit de vie, on n’en sait guère le goût. L’objet aimé serait bien humilié s’il gardait assez de sang-froid pour voir ce qui est vrai, malgré tant de belles paroles combien le sexe compte dans cet éblouissement, combien peu la personne. C’est à mesure qu’on expérimente celle-ci davantage qu’on peut apprécier, savourer cette personnalité distincte, aimante, aimée, cette femme que sa préférence pour nous fait supérieure à toute femme. On l’aime en elle et pour le plaisir qu’elle donne et pour tous ceux qu’elle a donnés ; on l’aime comme son œuvre, sculptée de soi et imprégnée de soi on l’aime pour ce haut attribut de l’amour qu’en sa brûlante crise il n’ait plus son vertige, ni son obscurité, mais sa clarté parfaite, sa révélation lumineuse.


« On aime, disent-ils, parce qu’on ne se connaît pas encore. Dès qu’on connaît, on n’aime plus. »

Qui donc connaît ? je ne vois dans le monde que des gens qui s’ignorent, qui dans la même chambre vivent étrangers l’un à l’autre qui maladroits, ayant manqué