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n’avait pu, malgré son honnêteté naturelle, se défendre seule contre des assauts infinis, une poursuite de toutes les heures. Sur promesse de mariage, elle avait aimé et eu un enfant. Trompée, sans autre ressource que ses doigts et son aiguille, elle avait quitté cette ville, celle de France où les femmes sont le moins embarrassées. Elle y gagnent tout ce qu’elles veulent. Celle-ci aima mieux aller se cacher à Paris, et mourir de faim. Elle traînait un enfant ; grand obstacle à toute chose. Elle ne pouvait être ni femme de chambre ni demoiselle de boutique. La couture ne produisait rien. Elle essaya de repasser ; mais dans son état maladif, aggravé par le chagrin, elle ne pouvait le faire sans que le charbon lui donnât de cruelles migraines, et elle ne restait debout tout un jour qu’avec de grandes douleurs. Les ouvrières n’en savaient rien et la croyaient paresseuse. Les Parisiennes sont rieuses, elles n’épargnaient pas les risées à la pauvre provinciale. Toutefois, elles avaient bon cœur, et, dans ses embarras, lui prêtaient de leur argent.

Ses tristes robes d’indienne déteinte, que j’ai vues, témoignaient assez que, dans cette extrême misère, elle n’eut aucun recours à ce qui lui restait de beauté. Un tel vêtement vieillit. Il ne laissait nullement deviner combien cette personne était jeune encore, entière. La douleur et les misères maigrissent, mais ne fanent pas comme les excès et les jouissances. Et celle-ci, très visiblement, avait peu usé des joies de la vie.

La maîtresse qui l’employait à, repasser avait eu la charité de lui permettre de coucher dans une grande