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profonde, à la vie déshéritée, sèche et vide, que mène l’ouvrière, surtout l’ouvrière de l’aiguille avec son pain sec éternel, et seule dans son froid grenier, on s’étonne peu si elle cède à la jeune folle d’à côté, ou à une amie plus mûre, intéressée, qui l’entraîne. Mais ce qui me donne toujours un étonnement douloureux, c’est que celui qui en profite ait si peu de cœur, qu’il protège si peu la pauvre étourdie, ne veille pas un peu sur elle, ne s’inquiète pas (lui chaudement couvert de manteaux, de paletots !) de savoir si elle revient vêtue, de savoir si elle a du feu, si elle a le nécessaire, de quoi manger pour demain. Hélas ! cette infortunée dont vous eûtes tout à l'heure les dernières caresses, la jeter dans la nuit glacée !... Barbares ! vous faites semblant d’être légers dans tout ceci. Point du tout. Vous êtes habiles, vous êtes cruels et avares, vous craignez d’en savoir trop, vous aimez mieux ignorer ce qui suit, - la vie, la mort...


Pour revenir, malgré l’époque, je doutai fort, sur la vue du visage de cette femme que ce fût une étudiante, une habituée de ces bals. On connaît -aisément ce monde-là. Elle n’y eût pas réussi. Un nez sévèrement arrêté, un menton ferme, une bouche à lèvres ûnes et précises, un certain air de réserve, l’auraient fait trop respecter.

L’enquête ultérieure prouva que j’avais très bien jugé. C’était une demoiselle de province, de petite bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peuplée en majeure partie de célibataires, employés, etc.,