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la grande dame et peut-être rendrait fou d’amour, c’est la ruine de la dame au camellia. Elle est tenue d’être brillante de fraîcheur, luisante plutôt. Point de grâce. Un médecin très honnête qu’une d’elles avait appelé, huit jours après, de lui-même, sans autre intérêt que la pitié, passant dans la rue, monta, demanda comment elle allait. Elle fut extrêmement touchée et ouvrit son cœur. « Vous me voyez toujours seule, dit-elle. Il vient à peine un jour par semaine. Si je souffre ce jour-là, il dit « Bonsoir, je vais au bal » (c’est-à -dire chercher une femme), me faisant sèchement entendre que je ne suis bonne à rien, que je ne gagne pas mon pain. »

La façon dont on s’en défait est la chose la plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame d’Hélène Peyron, a mis en scène ce qui se voit tous les jours. On n’aime pas à rompre en face, mais on s’arrange si bien que la créature délaissée, demain sans ressources peut-être, accueille trop crédulement l’amour d’un ami perfide. Libre à l’infidèle, au traître, de dire qu’elle l’a trahi.


Dans un poème immortel, d’une inexprimable tendresse, Virgile a exprimé l’amertume, l’insondable mer de douleurs, où se noie l’amant de Lycoris. Ces courtisanes esclaves, qu’un maître avare louait, vendait, ont tiré des vers déchirants de la muse infortunée des Properce et des Tibulle. Elles étaient lettrées, gracieuses et de véritables dames, plus semblables à la dame au camellia actuelle qu’aux Manon Lescaut de l’ancien régime, si naïvement corrom-