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L’auteur du roman, à la fin, torture, mais sauve l’héroïne. Il lui met un fer brûlant au cœur, celui d’un véritable amour. Elle succombe, perd l’esprit avant sa dégradation. Peu ont ce bonheur ; la plupart ont déjà trop souffert, trop baissé pour sentir si vivement ; elles subissent leur sort, sont esclaves, -esclaves grasses et florissantes.

Esclaves de qui ? direz-vous. De cet être incertain et inconnu qui d’autant moins est responsable, et d’autant plus est léger, sans égard et sans pitié. Son nom ? C’est Nemo, le nom sous lequel Ulysse s’affranchit du cyclope. Ici, c’est le cyclope même, le minotaure dévorant. C’est Personne, et c’est Tout le monde.

J’ai dit qu’elle était esclave. Plus misérablement esclave que le nègre du planteur, plus que la fille publique numérotée du ruisseau. Comment ? Parce que ces misérables, du moins, n’ont pas d’inquiétude, ne craignent pas le chômage, sont nourries par leurs tyrans. La pauvre camellia, au contraire, n’est sûre de rien. On peut la quitter tous les jours, et la laisser mourir de faim. Elle semble gaie, insouciante. Son métier est de sourire. Elle sourit, et dit cependant « Peut-être affamée demain !... Et pour retraite, une borne ! »

Même dans son for intérieur, elle tâche aussi d’être gaie, ayant peur d’être malade, de maigrir. Cela est atroce de ne pouvoir être triste. Elles savent bien qu’au milieu des demi-égards, un peu ironiques, que l’on a pour elles, on ne leur pardonnera pas un jour de langueur, ni la moindre altération. Certaine ombre de souffrance, un peu de pâleur maladive qui parerait