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dont je suis resté indigné. J’aime à croire que de nos jours les choses ne sont plus ainsi.

Chez un de ces terribles juges que je connaissais, je vois arriver une petite personne, fort simplement mise, d’une figure douce et bonne, fatiguée déjà et un peu fanée. Elle lui dit, sans préface, qu’elle venait lui demander grâce, qu’elle le priait du moins de lui dire pourquoi il ne passait pas un jour sans la cribler, l’accabler. Il répondit hardiment, non pas qu’elle jouait mal, mais qu’elle était impolie, qu’à un premier article assez favorable elle eût dû répondre par un signe de reconnaissance, une marque solide de souvenir. « Hélas ! monsieur, je suis si pauvre ! je ne gagne presque rien, et je dois soutenir ma mère. - Peu m’importe ! ayez un amant... - Mais je ne suis pas jolie. Et d’ailleurs je suis si triste ! On n’aime que les femmes gaies. - Non, vous ne m’en ferez pas accroire. Vous êtes jolie, mademoiselle, et c’est mauvaise volonté. Vous êtes fière, cela ne vaut rien. Il ’faut faire comme les autres, il faut avoir un amant. » Il ne sortit pas dé là.


Je n’ai jamais compris comment on avait la force de siffler une femme. Chacun d’eux est- peut-être bon, et ils sont cruels en masse. Cela arrive parfois dans telle ville de province. Pour forcer le directeur à dépenser plus qu’il ne peut, et à faire venir les premiers talents, on exécute chaque soir une infortunée qui elle-même aurait du talent, mais qui, sous cet acharnement, ce honteux supplice, perd la tête, chancelle, bégaye, ne sait plus ce qu’elle dit. Elle