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parents l’aiment, l’estiment, dit-elle, mais craignent que nous ne mourions de faim. »

Je lui dis sans hésiter : « Il vaut mieux mourir de faim que de courir le cachet sur le pavé de Paris. Je vous engage, mademoiselle, à retourner, non pas demain, mais aujourd’hui, chez vos parents. Chaque heure que vous restez ici vous fera perdre cent pour cent. Seule, inexpérimentée, que deviendrez-vous ? »

Elle suivit mon conseil. Ses parents consentirent. Elle épousa. Sa vie fut très difficile, pleine des plus dures épreuves, exemplaire et honorable. Partagée péniblement entre le soin de ses enfants et l’aide très intelligente qu’elle donnait aux travaux de son mari, je la vois encore l’hiver courant aux bibliothèques où elle faisait des recherches pour lui. Avec toutes ces misères, et la douleur qu’on avait de ne pouvoir secourir leur fière pauvreté, jamais je n’ai regretté le conseil que je lui donnai. Elle jouit beaucoup par le cœur, ne souffrit que de la fortune. Il n’y eut jamais meilleur ménage. Elle arriva à la mort aimée, pure et honorée.


La pire destinée pour la femme, c’est de vivre seule.

Seule ! le mot même est triste à dire... Et comment se fait-il sur la terre qu’il y ait une femme seule !

Eh quoi ! il n’est donc plus d’hommes ? Sommes-nous aux derniers jours du monde ? la fin, l’approche du Jugement dernier nous rend-elle si égoïstes, qu’on se resserre dans l’effroi de l’avenir et dans la honte des plaisirs solitaires ?