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III


Les deux premiers chapitres, résumés de mes Cours sur le Moyen-âge, expliquent par l’état général de la Société pourquoi l’humanité désespéra, — et les chapitres III, IV, V, expliquent par l’état moral de l’âme pourquoi la femme spécialement désespéra et fut amenée à se donner au Diable, et à devenir la Sorcière.

C’est seulement en 553 que l’Église a pris l’atroce résolution de damner les esprits ou démons (mots synonymes en grec), sans retour, sans repentir possible. Elle suivit en cela la violence africaine de saint Augustin, contre l’avis plus doux des Grecs, d’Origène et de l’Antiquité. (Haag, Hist. des dogmes, I, 80-83.) — Dès lors on étudie, on fixe le tempérament, la physiologie des Esprits. Ils ont et ils n’ont pas de corps, s’évanouissent en fumée, mais aiment la chaleur, craignent les coups, etc. Tout est parfaitement connu, convenu, en 1050 (Michel Psellus, Énergie des esprits ou démons). Ce byzantin en donne exactement la même idée que celle des légendes occidentales. (Voy. les textes nombreux dans la Mythologie de Grimm, les Fées de Maury, etc., etc.) — Ce n’est qu’au quatorzième siècle qu’on dit nettement que tous ces esprits sont des diables. — Le Trilby de Nodier, et la plupart des contes analogues sont manqués, parce qu’ils ne vont pas jusqu’au moment tragique où la petite femme voit dans le lutin l’infernal amant.

Dans les chapitres VXII du livre Ier, et dès la page 379, j’ai essayé de retrouver comment la femme put devenir Sorcière. — Recherche délicate. — Nul de mes prédécesseurs ne s’en est enquis. Ils ne s’informent pas des degrés successifs par lesquels on arrivait à cette chose horrible. Leur Sorcière surgit tout à coup, comme du fond de la terre. Telle n’est pas la nature humaine. Cette recherche m’imposait le travail le plus difficile. Les textes antiques sont rares, et ceux qu’on trouve épars dans les livres bâtards de 1500, 1600, sont difficiles à distinguer. Quand on a retrouvé ces textes, comment les dater, dire : « Ceci est du douzième, ceci du treizième, du quatorzième ? » Je ne m’y serais point hasardé, si je n’avais eu déjà pour moi