Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait paraître la Cadière et sa mère. On crie : « Rassurez-vous, mademoiselle. Nous sommes là… Ne craignez rien. »

Le grand dix-huitième siècle, que justement Hegel a nommé le règne de l’esprit, est bien plus grand encore comme règne de l’humanité. Des dames distinguées, comme la petite-fille de Mme de Sévigné, la charmante Mme Simiane, s’emparèrent de la jeune fille et la réfugièrent dans leur sein. Chose plus belle encore (et si touchante), les dames jansénistes, de pureté sauvage, si difficiles entre elles, et d’excessive austérité, immolèrent la Loi à la Grâce dans cette grande circonstance, jetèrent les bras au cou de la pauvre enfant menacée, la purifièrent de leurs baisers au front, la rebaptisèrent de leurs larmes.

Si la Provence est violente, elle est d’autant plus admirable en ces moments, violente de générosité et d’une véritable grandeur. On en vit quelque chose aux premiers triomphes de Mirabeau, quand il eut à Marseille autour de lui un million d’hommes. Ici, déjà, ce fut une grande scène révolutionnaire, un soulèvement immense contre le sot gouvernement d’alors, et les Jésuites, protégés de Fleury. Soulèvement unanime pour l’humanité, la pitié, pour la défense d’une femme, d’une enfant, si barbarement immolée. Les Jésuites imaginèrent bien d’organiser dans la canaille à eux, dans leurs clients, leurs mendiants, un je ne sais quel peuple qu’ils armaient de clochettes et de bâtons pour faire reculer les cadières. On surnomma ainsi les deux partis. Le dernier, c’était tout le monde. Marseille se leva tout entière pour porter en triomphe le fils de l’avocat