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exploiter pour son intérêt propre. Dans cette entrevue, la dernière peut-être, il voulut s’assurer la pauvre créature au moins pour la discrétion, de sorte qu’abandonnée de lui elle se crût encore à lui. Il demanda s’il serait moins favorisé que le couvent qui avait vu le miracle. Elle se fit saigner devant lui. L’eau dont il lava ce sang, il en but et lui en fit boire[1], et il crut avoir lié son âme par cette odieuse communion.

Cela dura deux ou trois heures, et il était près de midi. L’abbesse était scandalisée. Elle prit le parti de venir elle-même avec le dîner, et de faire ouvrir la porte. Girard prit du thé ; comme c’était vendredi, il faisait croire qu’il jeûnait, s’étant sans doute bien muni à Toulon. La Cadière demanda du café. La sœur converse, qui était à la cuisine, s’en étonnait dans un tel jour (p. 86). Mais, sans ce fortifiant, elle aurait défailli. Il la remit un peu, et elle retint Girard encore. Il resta avec elle (il est vrai, non plus enfermé) jusqu’à quatre heures, voulant effacer la triste impression de sa conduite du matin. À force de mensonges d’amitié, de paternité, il raffermit un peu la mobile créature, lui rendit la sérénité. Elle le conduisit au départ, et, marchant derrière, elle fit, en véritable enfant, deux ou trois petits sauts de joie. Il dit sèchement : « Petite folle ! » (P. 89.)


Elle paya cruellement sa faiblesse. Le soir même, à neuf heures, elle eut une vision terrible, et on

  1. C’était l’usage des reîtres, des soldats du Nord, de se faire frères par la communion du sang. (Voy. mes Origines du droit.)