Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

timent de véritable piété : « Vous seul, Seigneur !… Je ne veux que vous seul !… Vos anges ne me suffisent pas. » Puis une d’elles, fille fort gaie, ayant, à la provençale, pendu à son cou un petit tambourin, la Cadière fit comme les autres, sauta, dansa, se mit un tapis en écharpe, fit la bohémienne, s’étourdit par cent folies.

Elle était fort agitée. En mai, elle obtint de sa mère de faire un voyage à la Sainte-Baume, à l’église de la Madeleine, la grande sainte des filles pénitentes. Girard ne la laissa aller que sous l’escorte de deux surveillantes fidèles, la Guiol et la Reboul. Mais en route, quoique par moments elle eût encore des extases, elle se montra lasse d’être l’instrument passif du violent Esprit (infernal ou divin) qui la troublait. Le terme annuel de l’obsession n’était pas éloigné. N’avait-elle pas gagné sa liberté ? Une fois sortie de la sombre et fascinante Toulon, replacée dans le grand air, dans la nature, sous le soleil, la captive reprit son âme, résista à l’âme étrangère, osa être elle-même, vouloir. Les deux espionnes de Girard en furent fort mal édifiées. Au retour de ce court voyage (du 17 au 22 mai), elles l’avertirent du changement. Il s’en convainquit par lui-même. Elle résista à l’extase, ne voulant plus, ce semblait, obéir qu’à la raison.

Il avait cru la tenir, et par la fascination, et par l’autorité sacrée, enfin par la possession et l’habitude charnelle. Il ne tenait rien. La jeune âme qui, après tout avait été moins conquise que surprise (traîtreusement), revenait à sa nature. Il fut blessé. De son métier de pédant, de la tyrannie des enfants, châtiés