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certaines lettres où l’on contait les miracles et les extases de sœur Rémusat, encore vivante (elle mourut en février 1730). Quelle gloire pour le Père Girard qui l’avait menée si haut ! On lisait cela, on pleurait, on criait d’admiration. Si l’on n’avait encore d’extases, on n’était pas loin d’en avoir. Et la Reboul, pour plaire à sa parente, se mettait déjà parfois dans un état singulier par le procédé connu de s’étouffer tout doucement et de se pincer le nez[1].


De ces femmes et filles, la moins légère certainement était Mlle Catherine Cadière, délicate et maladive personne de dix-sept ans, tout occupée de dévotion et de charité, d’un visage mortifié, qui semblait indiquer que, quoique bien jeune, elle avait plus qu’aucune autre ressenti les grands malheurs du temps, ceux de la Provence et de Toulon. Cela s’explique assez. Elle était née dans l’affreuse famine de 1709, et, au moment où une fille devient vraie fille, elle eut le terrible spectacle de la grande Peste. Elle semblait marquée de ces deux événements, un peu hors de la vie, et déjà de l’autre côté.

La triste fleur était tout à fait de Toulon, de ce Toulon d’alors. Pour la comprendre, il faut bien se rappeler ce qu’est, ce qu’était cette ville.

Toulon est un passage, un lieu d’embarquement, l’entrée d’un port immense et d’un gigantesque arsenal. Voilà ce qui saisit le voyageur et l’empêche de voir Toulon même. Il y a pourtant là une ville, une

  1. Voy. le Procès, et Swift, Mécanique de l’enthousiasme.