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les actes honteux. Les exorcistes, sous prétexte de la fatigue des nonnes, les firent promener hors de la ville, les promenèrent eux-mêmes. Et l’une d’elles en revint enceinte. L’apparence du moins était telle. Au cinquième ou sixième mois, tout disparut, et le démon qui était en elle avoua la malice qu’il avait eue de calomnier la pauvre religieuse par cette illusion de grossesse. C’est l’historien de Louviers qui nous apprend cette histoire de Loudun[1].

On assure que le Père Joseph vint secrètement, mais vit l’affaire perdue, et s’en tira sans bruit. Les Jésuites vinrent aussi, exorcisèrent, firent peu de chose, flairèrent l’opinion, se dérobèrent aussi.

Mais les moines, les capucins, étaient si engagés, qu’il ne leur restait plus qu’à se sauver par la terreur. Ils tendirent des pièges perfides au courageux bailli, à la baillive, voulant les faire périr, éteindre la future réaction de la justice. Enfin ils pressèrent la commission d’expédier Grandier. Les choses ne pouvaient plus aller. Les nonnes même leur échappaient. Après cette terrible orgie de fureurs sensuelles et de cris impudiques pour faire couler le sang humain, deux ou trois défaillirent, se prirent en dégoût, en horreur ; elles se vomissaient elles-mêmes. Malgré le sort affreux qu’elles avaient à attendre, si elles parlaient, malgré la certitude de finir dans une basse-fosse[2], elles dirent dans l’église qu’elles étaient damnées, qu’elles avaient joué le Diable, que Grandier était innocent.

  1. Esprit de Bosroger, p. 135.
  2. C’était l’usage encore ; voir Mabillon.