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faisant blasphémer son diable au nom du magicien. Belzébuth disait par sa bouche : « Je renonce à Dieu, au nom de Gauffridi, je renonce à Dieu, » etc. Et au moment de l’élévation : « Retombe sur moi le sang du Juste, de la part de Gauffridi ! »

Horrible communauté. Ce diable à deux damnait l’un par les paroles de l’autre ; tout ce qu’il disait par Madeleine, on l’imputait à Gauffridi. Et la foule épouvantée avait hâte de voir brûler le blasphémateur muet dont l’impiété rugissait par la voix de cette fille.

Les exorcistes lui firent cette cruelle question, à laquelle ils eussent eux-mêmes pu répondre bien mieux qu’elle : « Pourquoi, Belzébuth, parles-tu si mal de ton grand ami ? » — Elle répondit ces mots affreux : « S’il y a des traîtres entre les hommes, pourquoi pas entre les démons ? Quand je me sens avec Gauffridi, je suis à lui pour faire tout ce qu’il voudra. Et quand vous me contraignez, je le trahis et m’en moque. »

Elle ne soutint pas pourtant cette exécrable risée. Quoique le démon de la peur et de la servilité semblât l’avoir toute envahie, il y eut place encore pour le désespoir. Elle ne pouvait plus prendre le moindre aliment. Et ces gens qui depuis cinq mois l’exterminaient d’exorcismes et prétendaient l’avoir allégée de six mille ou sept mille diables, sont obligés de convenir qu’elle ne voulait plus que mourir et cherchait avidement tous les moyens de suicide. Le courage seul lui manquait. Une fois, elle se piqua avec une lancette, mais n’eut pas la