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mencent à dire que le prêtre, souvent trop lié avec la sorcière, n’est plus un juge sûr. Les juristes, en effet, paraissent un moment plus sûrs encore. L’avocat jésuite Del Rio en Espagne, Remy (1596) en Lorraine, Boguet (1602) au Jura, Leloyer (1605) dans l’Anjou, sont gens incomparables, à faire mourir d’envie Torquemada.

En Lorraine, ce fut comme une contagion terrible de sorciers, de visionnaires. La foule, désespérée par le passage continuel des troupes et des bandits, ne priait plus que le Diable. Les sorciers entraînaient le peuple. Maints villages, effrayés, entre deux terreurs, celle des sorciers et celle des juges, avaient envie de laisser là leurs terres et de s’enfuir, si l’on en croit Remy, le juge de Nancy. Dans son livre dédié au cardinal de Lorraine (1596), il assure avoir brûlé en seize années huit cents sorcières. « Ma justice est si bonne, dit-il, que, l’an dernier, il y en a eu seize qui se sont tuées pour ne pas passer par mes mains. »


Les prêtres étaient humiliés. Auraient-ils pu faire mieux que ce laïque ? Aussi les moines seigneurs de Saint-Claude, contre leurs sujets, adonnés à la sorcellerie, prirent pour juge un laïque, l’honnête Boguet. Dans ce triste Jura, pays pauvre de maigres pâturages et de sapins, le serf sans espoir se donnait au Diable. Toits adoraient le chat noir.

Le livre de Boguet (1602) eut une autorité immense. Messieurs des Parlements étudièrent, comme un manuel, ce livre d’or du petit juge de Saint-Claude.