Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que sa femme est sorcière, et la traîne, la corde au cou, à Sprenger, qui la fait brûler.

Avec un homme cruel, on s’en tirerait peut-être ; mais avec ce bon Sprenger, il n’y a rien à espérer. Trop forte est son humanité ; on est brûle sans remède, ou bien il faut bien de l’adresse, une grande présence d’esprit. Un jour, on lui porte plainte de la part de trois bonnes dames de Strasbourg qui, au même jour, à la même heure, ont été frappées de coups invisibles. Comment ? Elles ne peuvent accuser qu’un homme de mauvaise mine qui leur aura jeté un sort. Mandé devant l’inquisiteur, l’homme proteste, jure par tous les saints qu’il ne connaît point ces dames, qu’il ne les a jamais vues. Le juge ne veut point le croire. Pleurs, serments, rien ne servait. Sa grande pitié pour les dames le rendait inexorable, indigné des dénégations. Et déjà il se levait. L’homme allait être torturé, et là il eût avoué, comme faisaient les plus innocents. Il obtient de parler et dit : « J’ai mémoire, en effet, qu’hier, à cette heure, j’ai battu… qui ? non des créatures baptisées, mais trois chattes qui furieusement sont venues pour me mordre aux jambes… » — Le juge, en homme pénétrant, vit alors toute l’affaire ; le pauvre homme était innocent, les dames étaient certainement à tels jours transformées en chattes, et le Malin s’amusait à les jeter aux jambes des chrétiens pour perdre ceux-ci et les faire passer pour sorciers.

Avec un juge moins habile, on n’eût pas deviné ceci. Mais on ne pouvait toujours avoir un tel homme. Il était bien nécessaire que, toujours sur la