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la grande hérésie, qui est la sorcellerie, on fit des directoria ou manuels spéciaux, des Marteaux pour les sorcières. Ces manuels, constamment enrichis par le zèle des dominicains, ont atteint leur perfection dans le Malleus de Sprenger, livre qui le guida lui-même dans sa grande mission d’Allemagne et resta pour un siècle le guide et la lumière des tribunaux d’inquisition.


Comment Sprenger fut-il conduit à étudier ces matières ? Il raconte qu’étant à Rome, au réfectoire où les moines hébergeaient des pèlerins, il en vit deux de Bohême : l’un, jeune prêtre ; l’autre, son père. Le père soupirait et priait pour le succès de son voyage. Sprenger, ému de charité, lui demande d’où vient son chagrin. C’est que son fils est possédé ; avec grande peine et dépense, il l’amène à Rome, au tombeau des saints. « Ce fils, où est-il ? dit le moine. — À côté de vous. À cette réponse, j’eus peur, et me reculai. J’envisageai le jeune prêtre et fus étonné de le voir manger d’un air très modeste et répondre avec douceur. Il m’apprit qu’ayant parlé un peu durement à une vieille, elle lui avait jeté un sort ; ce sort était sous un arbre. Sous lequel ? la sorcière s’obstinait à ne pas le dire. » Sprenger, toujours par charité, se mit à mener le possédé d’église en église et de relique en relique. À chaque station, exorcisme, fureur, cris, contorsions, baragouinage en toute langue et force gambades. Tout cela devant le peuple, qui les suivait, admirait, frissonnait. Les diables, si communs en Allemagne,