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n’était pas encore idiot, força tous ces rois, ses aïeux, ces os secs sautant dans leur bière, de partager son bal. La mort, bon gré, mal gré, devint entremetteuse, donna aux voluptés un cruel aiguillon. Là éclatèrent les modes immondes de l’époque où les dames, grandies du hennin diabolique, faisaient valoir le ventre et semblaient toutes enceintes (admirable moyen de cacher les grossesses)[1]. Elles y tinrent ; cette mode dura quarante années. L’adolescence, d’autre part, effrontée, les éclipsait en nudités saillantes. La femme avait Satan au front dans le bonnet cornu ; le bachelier, le page, l’avaient au pied dans la chaussure à fine pointe de scorpion. Sous masque d’animaux, ils s’offraient hardiment par les bas côtés de la bête. Le célèbre enleveur d’enfants, Retz, lui-même alors page, prit là son monstrueux essor. Toutes ces grandes dames de fiefs, effrénées Jézabels, moins pudibondes encore que l’homme, ne daignaient se déguiser. Elles s’étalaient à face nue. Leur furie sensuelle, leur folle ostentation de débauche, leurs outrageux défis, furent pour le roi, pour tous, — pour le sens, la vie, le corps, l’âme, — l’abîme et le gouffre sans fond.

Ce qui en sort, ce sont les vaincus d’Azincourt, pauvre génération de seigneurs épuisés qui, dans les miniatures, font grelotter encore à voir sous un habit perfidement serré leurs tristes membres amaigris[2].

Je plains fort la sorcière, qui, au retour de la

  1. Même au sujet le plus mystique, dans une œuvre de génie, l’Agneau de Van Eyck (Jean dit de Bruges), toutes les Vierges paraissent enceintes. C’est la grotesque mode du quinzième siècle.
  2. Cet amaigrissement de gens uses et énervés me gâte toutes les splendides