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ne semble pas avoir l’appui de la dévotion ni celui d’un autre amour. Elle est évidemment fidèle, chaste, pure. Il ne lui vient pas à l’esprit de se consoler en aimant ailleurs.

Des deux femmes féodales, l’Héritière, la Grisélidis, c’est uniquement la première qui a ses chevaliers servants, qui préside aux cours d’amours, qui favorise les amants les plus humbles, les encourage, qui rend (comme Éléonore) la fameuse décision, devenue classique en ces temps : « Nul amour possible entre époux. »

De là un espoir secret, mais ardent, mais violent, commence en plus d’un jeune cœur. Dût-il se donner au diable, il se lancera tête baissée vers cet aventureux amour. Dans ce château si bien fermé, une belle porte s’ouvre à Satan. À un jeu si périlleux, entrevoit-on quelque chance ? Non, répondrait la sagesse. Mais si Satan disait : « Oui » ?

Il faut bien se rappeler combien, entre nobles même, l’orgueil féodal mettait de distance. Les mots trompent. Il y a loin du chevalier au chevalier.

Le chevalier banneret, le seigneur qui menait au roi toute une armée de vassaux, voyait à sa longue table, avec le plus parfait mépris, les pauvres chevaliers sans terre (mortelle injure du moyen âge, comme on le sait par Jean-sans-terre). Combien plus les simples varlets, écuyers, pages, etc., qu’il nourrissait de ses restes ! Assis au bas bout de la table, tout près de la porte, ils grattaient les plats que les personnages d’en haut, assis au foyer, leur envoyaient souvent vides. Il ne tombait pas dans l’esprit du haut seigneur que ceux d’en bas fussent assez osés pour élever leurs