Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce que nous savons le mieux de leur médecine, c’est qu’elles employaient beaucoup, pour les usages les plus divers, pour calmer, pour stimuler, une grande famille de plantes, équivoques, fort dangereuses, qui rendirent les plus grands services. On les nomme avec raison : les Consolantes (Solanées)[1].

Famille immense et populaire, dont la plupart des espèces sont surabondantes, sous nos pieds, aux haies, partout. Famille tellement nombreuse, qu’un seul de ses genres a huit cents espèces[2]. Rien de plus facile à trouver, rien de plus vulgaire. Mais ces plantes sont la plupart d’un emploi fort hasardeux. Il a fallu de l’audace pour en préciser les doses, l’audace peut-être du génie.

Prenons par en bas l’échelle ascendante de leurs énergies[3]. Les premières sont tout simplement pota-

  1. L’ingratitude des hommes est cruelle à observer. Mille autres plantes sont venues. La mode a fait prévaloir cent végétaux exotiques. Et ces pauvres Consolantes qui nous ont sauvés alors, on a oublié leurs bienfaits ! — Au reste, qui se souvient ? qui reconnaît les obligations antiques de l’humanité pour la nature innocente ? L’Asclepias acida, Sarcostemma (la plante-chair), qui fut pendant cinq mille ans l’hostie de l’Asie, et son dieu palpable, qui donna à cinq cent millions d’hommes le bonheur de manger leur dieu, cette plante que le Moyen-âge appela le Dompte-Venin (Vince-venenum), elle n’a pas un mot d’histoire dans nos livres de botanique. Qui sait ? dans deux mille ans d’ici, ils oublieront le froment. Voy. Langlois, sur la soma de l’Inde, et le hom de la Perse. Mém. de l’Ac. des Inscriptions, XIX, 326.
  2. Dict. d’hist. nat. de M. d’Orbigny, article Morelles de M. Duchartre, d’après Dunal, etc.
  3. Je n’ai trouvé cette échelle nulle part. Elle est d’autant plus importante, que les sorcières qui firent ces essais, au risque de passer pour empoisonneuses, commencèrent certainement par les plus faibles et allèrent peu à peu aux plus fortes. Chaque degré de force donne ainsi une date relative, et permet d’établir dans ce sujet obscur une sorte de chronologie. Je compléterai aux chapitres suivants, en parlant de la Mandragore et du Datura. — J’ai suivi surtout : Pouchet, Solanées et Botanique générale. M. Pouchet, dans son importante monographie, n’a pas dédaigné de profiter des anciens auteurs, Matthiole, Porta, Gessner, Sauvages, Gmelin, etc.