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C’est aussi véritablement une cruelle invention d’avoir tiré la fête des Morts du printemps, où l’Antiquité la plaçait, pour la mettre en novembre. En mai, où elle fut d’abord, on les enterrait dans les fleurs. En mars, où on la mit ensuite, elle était, avec le labour, l’éveil de l’alouette ; le mort et le grain, dans la terre, entraient ensemble avec le même espoir. Mais, hélas ! en novembre, quand tous les travaux sont finis, la saison close et sombre pour longtemps, quand on revient à la maison, quand l’homme se rassoit au foyer et voit en face la place à jamais vide… oh ! quel accroissement de deuil !… Évidemment, en prenant ce moment, déjà funèbre en lui, des obsèques de la nature, on craignait qu’en lui-même l’homme n’eût pas assez de douleur…

Les plus calmes, les plus occupés, quelque distraits qu’ils soient par les tiraillements de la vie, ont des moments étranges. Au noir matin brumeux, au soir qui vient si vite nous engloutir dans l’ombre, dix ans, vingt ans après, je ne sais quelles faibles voix vous montent au cœur : « Bonjour, ami ; c’est nous… Tu vis donc, tu travailles, comme toujours… Tant mieux ! Tu ne souffres pas trop de nous avoir perdus, et tu sais te passer de nous… Mais nous, non pas de toi, jamais… Les rangs se sont serrés et le vide ne paraît guère. La maison qui fut nôtre est pleine, et nous la bénissons. Tout est bien, tout est mieux qu’au temps où ton père te portait, au temps où ta fille te disait à son tour : « Mon papa, porte-moi… » Mais voilà que tu pleures… Assez, et au revoir. »