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ils ont descendu. Mais les reverrons-nous ? Serons-nous avec eux ? Où sont-ils ? Que font-ils ? — Il faut qu’ils soient, mes morts, bien captifs pour ne me donner aucun signe ! Et moi, comment ferai-je pour être entendu d’eux ? Comment mon père, pour qui je fus unique et qui m’aima si violemment, comment ne vient-il pas à moi ?… Oh ! des deux côtes, servitude ! captivité ! mutuelle ignorance ! Nuit sombre où l’on cherche un rayon[1].

Ces pensées éternelles de nature, qui, dans l’Antiquité, n’ont été que mélancoliques, au Moyen-âge, elles sont devenues cruelles, amères, débilitantes, et les cœurs en sont amoindris. Il semble que l’on ait calculé d’aplatir l’âme et la faire étroite et serrée à la mesure d’une bière. La sépulture servile entre les quatre ais de sapin est très propre à cela. Elle trouble d’une idée d’étouffement. Celui qu’on a mis la dedans, s’il revient dans les songes, ce n’est plus une ombre lumineuse et légère, dans l’auréole Élyséenne ; c’est un esclave torturé, misérable gibier d’un chat griffu d’enfer (bestiis, dit le texte même, Ne tradas bestiis, etc.). Idée exécrable et impie, que mon père si bon, si aimable, que ma mère vénérée de tous soient jouet de ce chat !… Vous riez aujourd’hui. Pendant mille ans, on n’a pas ri. On a amèrement pleuré. Et, aujourd’hui encore, on ne peut écrire ces blasphèmes sans que le cœur ne soit gonflé, que le papier ne grince, et la plume, d’indignation !

  1. Le rayon luit dans l’Immortalité, la Foi nouvelle, du Dumesnil ; Terre et Ciel, de Reynaud, Henri Martin, etc.