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ne reconnaît pas, mais salue profondément. D’une fierté incomparable, elle portait bien plus haut que toutes les têtes des hommes le sublime hennin de l’époque, le triomphant bonnet du Diable. On l’appelait souvent ainsi, à cause de la double corne dont il était décoré. La vraie dame rougit éclipsée, et passa toute petite. Puis, indignée, à demi voix : « La voilà pourtant, votre serve ! C’est fini. Tout est renversé. Les ânes insultent les chevaux. »

À la sortie, le hardi page, le favori, de sa ceinture tire un poignard affilé, et lestement, d’un seul tour, coupe la belle robe verte aux reins[1]. Elle faillit s’évanouir… La foule était interdite. Mais on comprit quand on vit toute la maison du seigneur qui se mit à lui faire la chasse… Rapides et impitoyables sifflaient, tombaient les coups de fouet… Elle fuit, mais pas bien fort ; elle est déjà un peu pesante. À peine elle a fait vingt pas, qu’elle heurte. Sa meilleure amie lui a mis sur le chemin une pierre pour la faire chopper… On rit. Elle hurle, à quatre pattes… Mais les pages impitoyables la relèvent à coups de fouet.

  1. C’est le grand et cruel outrage, qu’on trouve usité dans ces temps. Il est, dans les lois galloises et anglo-saxonnes, la peine de l’impureté. (Grimm, 679, 711 ; Sternhook, 19, 326 ; Ducange, III, 52 ; Michelet, Origines.) — Plus tard, le même affront est indignement infligé aux femmes honnêtes, aux bourgeoises déjà fières, que la noblesse veut humilier. On sait le guet-apens où le tyran Hagenbach fit tomber les dames honorables de la haute bourgeoisie d’Alsace, probablement en dérision de leur riche et royal costume, tout de soie et d’or. J’ai rapporté aussi dans mes Origines le droit étrange que le sire de Pacé, en Anjou, réclame sur les femmes jolies (honnêtes) du voisinage. Elles doivent lui apporter au château 4 derniers, un chapeau de roses et danser avec ses officiers. Démarche fort dangereuse, où elles avaient à craindre de trouver un affront, comme celui d’Hagenbach. Pour les y contraindre, on ajoute cette menace que les rebelles dépouillées seront piquées d’un aiguillon marqué aux armes du seigneur.