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même, sous l’aiguillon, tu luttes encore !… Je l’ai vue, je la sais, ton âme, à chaque heure, et bien mieux que toi. Jour par jour, j’ai vu tes premières résistances, tes douleurs et tes désespoirs. J’ai vu tes découragements quand tu as dit à demi voix : « Nul n’est tenu à l’impossible. » Puis j’ai vu tes résignations. Tu as été battue un peu, et tu as crié pas bien fort… Moi, si j’ai demandé ton âme, c’est que déjà tu l’as perdue.

« Maintenant ton mari périt… Que faut-il faire ? J’ai pitié de vous… Je t’ai… mais je veux davantage, et il me faut que tu cèdes, et d’aveu, et de volonté. Autrement il périra. »

Elle répondit bien bas, en dormant : « Hélas ! mon corps et ma misérable chair, pour sauver mon pauvre mari, prenez-les… Mais mon cœur, non. Personne ne l’a eu jamais, et je ne peux pas le donner. »

Là, elle attendit, résignée… Et il lui jeta deux mots : « Retiens-les. C’est ton salut. » — Au moment, elle frissonna, se sentit avec horreur empalée d’un trait de feu, inondée d’un flot de glace… Elle poussa un grand cri. Elle se trouva dans les bras de son mari étonné, et qu’elle inonda de larmes.


Elle s’arracha violemment, se leva, craignant d’oublier les deux mots si nécessaires. Son mari était effrayé. Car elle ne le voyait pas même, mais elle lançait aux murailles le regard aigu de Médée. Jamais elle ne fut plus belle. Dans l’œil noir et le blanc jaune flamboyait une lueur qu’on n’osait envisager, un jet sulfureux de volcan.