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est déjà assise sur ses sacs de blé dans la petite ville voisine. Elle est seule. Les autres, au village, sont encore à délibérer.

Elle vend au prix qu’elle veut. Mais, même quand les autres arrivent, tout va à elle ; je ne sais quel magique attrait y mène. Personne ne marchande avec elle. Son mari, avant le terme, apporte sa redevance en bonne monnaie sonnante à l’orme féodal. Tous disent : « Chose surprenante !… Mais elle a le diable au corps ! »

Ils rient, et elle ne rit pas. Elle est triste, a peur. Elle a beau prier le soir. Des fourmillements étranges agitent, troublent son sommeil. Elle voit de bizarres figures. L’Esprit si petit, si doux, semble devenu impérieux. Il ose. Elle est inquiète, indignée, veut se lever. Elle reste, mais elle gémit, se sent dépendre, se dit : « Je ne m’appartiens donc plus ! »


« Voilà enfin, dit le seigneur, un paysan raisonnable ; il paye d’avance. Tu me plais. Sais-tu compter ? — Quelque peu. — Eh bien, c’est toi qui compteras avec tous ces gens. Chaque samedi, assis sous l’orme, tu recevras leur argent. Le dimanche, avant la messe, tu le monteras au château. »

Grand changement de situation ! Le cœur bat fort à la femme quand, le samedi, elle voit son pauvre laboureur, ce serf, siéger comme un petit seigneur sous l’ombrage seigneurial. L’homme est un peu étourdi. Mais enfin il s’habitue ; il prend quelque gravité. Il n’y a pas à plaisanter. Le seigneur