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tout cela, il faut de l’or. Quand le serf apporte son blé, il le repousse du pied. « Ce n’est pas tout ; je veux de l’or ! »

Le monde est changé ce jour-là. Jusqu’alors, au milieu des maux, il y avait, pour le tribut, une sécurité innocente. Bon an, mal an, la redevance suivait le cours de la nature et la mesure de la moisson. Si le seigneur disait : « C’est peu, » on répondait : « Monseigneur, Dieu n’a pas donné davantage. »

Mais l’or, hélas ! où le trouver ?… Nous n’avons pas une armée pour en prendre aux villes de Flandre. Où creuserons-nous la terre pour lui ravir son trésor ? Oh ! si nous étions guides par l’Esprit des trésors cachés[1] !


Pendant que tous désespèrent, la femme au lutin

  1. Les démons troublent le monde pendant tout le moyen âge. Mais Satan ne prend pas son caractère définitif avant le treizième siècle. « Les pactes, dit M. A. Maury, sont fort rares avant cette époque. » Je le crois. Comment contracter avec celui qui vraiment n’est pas encore ? Ni l’un ni l’autre des contractants n’était mûr pour le contrat. Pour que la volonté en vienne à cette extrémité terrible de se vendre pour l’éternité, il faut qu’elle ait désespéré. Ce n’est guère le malheureux qui arrive au désespoir ; c’est le misérable, celui qui a connaissance parfaite de sa misère, qui en souffre d’autant plus et n’attend aucun remède. Le misérable en ce sens, c’est l’homme du quatorzième siècle, l’homme dont on exige l’impossible (des redevances en argent). — Dans ce chapitre et le suivant, j’ai marqué les situations, les sentiments, les progrès dans le désespoir, qui peuvent amener le traité énorme du pacte, et, ce qui est bien plus que le simple pacte, l’horrible état de sorcière. Nom prodigué, mais chose rare alors, laquelle n’était pas moins qu’un mariage et une sorte de pontificat. Pour la facilité de l’exposition, j’ai rattaché les détails de cette délicate analyse à un léger fil fictif. Le cadre importe peu du reste. L’essentiel, c’est de bien comprendra que de telles choses ne vinrent point (comme on tachait de le faire croire) de la légèreté humaine, de l’inconstance de la nature déchue, des tentations fortuites de la concupiscence. Il y fallut la pression fatale d’un âge de fer, celle des nécessités atroces ; il fallut que l’enfer même parût un abri, un asile, contre l’enfer d’ici-bas.