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pour une serve, eût filé le parfait amour. Toute la bande, le chapelain, le sommelier, jusqu’aux valets, croyaient l’honorer par l’outrage. Le moindre page se croyait grand seigneur s’il assaisonnait l’amour d’insolences et de coups.


Un jour que la pauvre femme, en l’absence du mari, venait d’être maltraitée, en relevant ses longs cheveux, elle pleurait et disait tout haut : « Ô les malheureux saints de bois, que sert-il de leur faire des vœux ?… Sont-ils sourds ? Sont-ils trop vieux ? Que n’ai-je un Esprit protecteur, fort, puissant (méchant n’importe) ! J’en vois bien qui sont en pierre à la porte de l’église. Que font-ils là ? Que ne vont-ils pas à leur vraie maison, le château, enlever, rôtir ces pécheurs ?… Oh ! la force, oh ! la puissance, qui pourra me la donner ? Je me donnerais bien en échange… Hélas ! qu’est-ce que je donnerais ? Qu’est-ce que j’ai pour me donner ? Rien ne me reste. — Fi de ce corps ! Fi de l’âme, qui n’est plus que cendre ! — Que n’ai-je donc, à la place du follet qui ne sert à rien, un grand, fort et puissant Esprit !

« — Ô ma mignonne maîtresse ! je suis petit par votre faute, et je ne peux pas grandir… Et, d’ailleurs, si j’étais grand, vous ne m’auriez pas voulu, vous ne m’auriez pas souffert, ni votre mari non plus. Vous m’auriez fait donner la chasse par vos prêtres et leur eau bénite… Je serai fort si vous voulez…

« Maîtresse, les Esprits ne sont ni grands ni petits, forts ni faibles. Si l’on veut, le plus petit va devenir un géant.