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Il y a loin de là au communisme instinctif, naturel, paresseux, qui est l’état invariable de tant de tribus animales, avant que la vie individuelle et l’organisme propre se soient vigoureusement déclarés. Tels les mollusques au fond des mers ; tels, nombre de sauvages des îles du Sud ; tel, dans un degré supérieur, l’insouciant paysan russe. Il dort sur la commune comme l’enfant au sein de la mère. Il y trouve un adoucissement au servage, triste adoucissement, qui, favorisant l’indolence, le confirme et le perpétue.

Dans la profonde misère du serf russe et son impuissance d’amélioration, un seul côté adoucit le tableau, y semble mettre un rayon de bonheur : c’est l’excellence de la famille, c’est la femme et l’enfant. Mais là même se retrouvent une misère plus grande et le fond de l’abjection. L’enfant naît, est aimé, mais on le soigne peu. Il meurt pour faire place à un autre qu’on aime également, qu’on regrette aussi peu. C’est l’eau de la rivière. La femme est une source d’où s’écoulent des générations, pour se perdre au fond de la terre. L’homme n’y prend pas garde. La femme, l’enfant, sont-ils à lui ? La vie hideuse du servage implique un triste communisme que nous avons laissé dans l’ombre. Celui qui n’a pas même son corps, n’a ni sa femme, ni sa fille. Toute génération est pour lui incertaine. Dans la réalité, la famille n’est pas.