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relevée comme éducatrice, comme ayant moralement enfanté Jésus. Voie féconde qui fut d’abord délaissée par l’ambition d’une haute pureté stérile.

Donc le christianisme entra au chemin solitaire où le monde allait de lui-même, le célibat, combattu en vain par les lois des Empereurs. Il se précipita sur cette pente par le monachisme.

Mais l’homme au désert fut-il seul ? Le démon lui tint compagnie, avec toutes les tentations. Il eut beau faire, il lui fallut recréer des sociétés, des cités de solitaires. On sait ces noires villes de moines qui se formèrent en Thébaïde. On sait quel esprit turbulent, sauvage, les anima, leurs descentes meurtrières dans Alexandrie. Ils se disaient troublés, poussés du démon, et ne mentaient pas.

Un vide énorme s’était fait dans le monde. Qui le remplissait ? Les chrétiens le disent : le démon, partout le démon : Ubique dæmon[1].

La Grèce, comme tous les peuples, avait eu ses énergumènes, troublés, possédés des esprits. C’est un rapport tout extérieur, une ressemblance apparente qui ne ressemble nullement. Ici, ce ne sont pas des esprits quelconques. Ce sont les noirs fils de l’abîme, idéal de perversité. On voit partout dès lors errer ces pauvres mélancoliques qui se haïssent, ont horreur d’eux-mêmes. Jugez, en effet, ce que c’est, de se sentir double, d’avoir foi en cet autre, cet hôte cruel qui va, vient, se promène en vous, vous fait

  1. Voy. les Vies des Pères du désert, et les auteurs cités par A. Maury, Magie, 317. Au quatrième siècle, les Messaliens, se croyant pleins de démons, se mouchaient et crachaient sans cesse, faisaient d’incroyables efforts pour les expectorer.