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l’illusion. Tout tombe, s’écroule, s’abîme. Le Tout devient le néant : « Le grand Pan est mort ! »

Ce n’était pas une nouvelle que les dieux dussent mourir. Nombre de cultes anciens sont fondés précisément sur l’idée de la mort des dieux. Osiris meurt, Adonis meurt, il est vrai, pour ressusciter. Eschyle, sur le théâtre même, dans ces drames qu’on ne jouait que pour les fêtes des dieux, leur dénonce expressément, par la voix de Prométhée, qu’un jour ils doivent mourir. Mais comment ? vaincus, et soumis aux Titans, aux puissances antiques de la Nature.

Ici, c’est bien autre chose. Les premiers chrétiens, dans l’ensemble et dans le détail, dans le passé, dans l’avenir, maudissent la Nature elle-même. Ils la condamnent tout entière, jusqu’à voir le mal incarné, le démon dans une fleur[1]. Viennent donc, plus tôt que plus tard, les anges qui jadis abîmèrent les villes de la mer Morte. Qu’ils emportent, plient comme un voile la vaine figure du monde, qu’ils délivrent enfin les saints de cette longue tentation.

L’Évangile dit : « Le jour approche. » Les Pères disent : « Tout à l’heure. » L’écroulement de l’Empire et l’invasion des Barbares donnent espoir à saint Augustin qu’il ne subsistera de cité bientôt que la cité de Dieu.

Qu’il est pourtant dur à mourir, ce monde, et obstiné à vivre ! Il demande, comme Ézéchias, un répit, un tour de cadran. Eh bien, soit, jusqu’à l’an Mil. Mais après, pas un jour de plus.

  1. Conf. de S. Cyprien, ap. Muratori, Script. it., I, 293, 545. — A. Maury, Magie, 435.