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Le poète (aussi enfant) lui lance une autre pierre, plus cruelle pour une femme. Il suppose, gratuitement, qu’elle était toujours laide et vieille. Au mot Sorcière, on voit les affreuses vieilles de Macbeth. Mais leurs cruels procès apprennent le contraire. Beaucoup périrent précisément parce qu’elles étaient jeunes et belles.

La Sibylle prédisait le sort. Et la Sorcière le fait. C’est la grande, la vraie différence. Elle évoque, elle conjure, opère la destinée. Ce n’est pas la Cassandre antique qui voyait si bien l’avenir, le déplorait, l’attendait. Celle-ci crée cet avenir. Plus que Circé, plus que Médée, elle a en main la baguette du miracle naturel, et pour aide et sœur la Nature. Elle a déjà des traits du Prométhée moderne. En elle commence l’industrie, surtout l’industrie souveraine qui guérit, refait l’homme. Au rebours de la Sibylle, qui semblait regarder l’aurore, elle regarde le couchant ; mais justement ce couchant sombre donne, longtemps avant l’aurore (comme il arrive aux pics des Alpes), une aube anticipée du jour.

Le prêtre entrevoit bien que le péril, l’ennemie, la rivalité redoutable, est dans celle qu’il fait semblant de mépriser, la prêtresse de la Nature. Des dieux anciens, elle a conçu des dieux. Auprès du Satan du passé, on voit en elle poindre un Satan de l’avenir.


L’unique médecin du peuple, pendant mille ans, fut la Sorcière. Les empereurs, les rois, les papes, les plus riches barons, avaient quelques docteurs