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chose et prévenir d’avance le lecteur qui, parvenant sans avis aux deux tiers, rencontrerait un changement à vue, un énorme saut, d’une chute épouvantable. Est-ce ma faute si ce volume est monstrueux, discordant ? Non, c’est celle du Dieu de ce siècle, de sa fatalité barbare et meurtrière.

Avez-vous quelquefois, en chemin de fer, passé brusquement un tunnel qui change tout à coup l’aspect des lieux, le paysage, comme quand de l’aimable Lyonnais vous entrez au monde des mines, dans les rudes scories et les noirs charbons du Forez ? Changement qui ne rend que faiblement celui qu’on trouve en ce livre. Vous y arrivez tout à coup à une fente profonde et si large que vous ne pouvez la sauter. C’est comme sur la Mer de glace, à tel pas dangereux. Tout s’effondre, s’abîme. Que vois-je au fond ? Horreur ! trois millions de morts, pour commencer, de plus 1815, 1870, l’enterrement de la France, et demain celui de l’Allemagne, qui craquera pressée entre la France et la Russie.

Mais pour revenir au principe du désastre, avant 1800 une chose fort tragique, c’est le vertige, une sorte d’aliénation mentale. Le mauvais rêve de la terreur et de la guerre universelle avait bouleversé les esprits, les mettant hors de la raison et de tout équilibre, et les rendant surtout avides d’émotions. Après avoir épuisé et forcé tout ce que donnait l’humanité, il faut quelque mirage, quelque songe qui semble être au delà. On veut du miracle à tout prix.