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sinon tué, au moins aveuglé. — Et qui eût pu alors se reconnaître dans mes manuscrits ?

J’étais absent de Paris ; j’en étais sorti, lorsque l’Impératrice, loin de songer à la défense, laissait entrer dans cette ville de deux millions d’âmes tout un monde de bouches inutiles, quatre ou cinq cent mille paysans. Personne ne pouvait comprendre un gouvernement si insensé qui, dans Paris, engouffrait la nation comme pour la faire prendre en une fois[1].

Cette ineptie parut dans tout son jour lorsque la France aurait eu si grand besoin de plaider sa cause, de répondre aux calomnies, aux articles payés d’une foule de journalistes, quand, dis-je, dans cette tempête d’injures et de sifflets, elle resta muette, ayant elle-même enfermé, étouffé entre quatre murs ses voix les plus autorisées. Dans ce temps lugubre, de près de six mois, le monde retentit des coups sonores que recevait la France muette. Mon

  1. Les forts n’étaient pas gardés (constaté par M. Thiers). M. Michelet avait vu dans sa jeunesse les Prussiens envahir deux fois le territoire, entrer à Paris en maîtres insolents. — Il ne se sentait plus la force de subir une troisième fois cette humiliation. Un matin, il vint à moi, me dit d’une voix concentrée que j’entends encore : « Si je reste, j’en mourrai. » Nous partîmes le soir même ; mais à distance il reçut le contre-coup de nos malheurs ; il devait mourir des blessures faites à la France. — A. M.