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terribles. Tout lui cédait. Le comité révolutionnaire était en lui seul. Chaux, secrétaire de Phelippeaux, était un patriote ardent, brutal, de peu de tête. L’ex-notaire Bachelier, fin et doux, faux par faiblesse, avait peu d’initiative. Goullin l’a dit plus tard en justice : « Moi seul, j’ai tout fait… Moi seul, j’ai droit de mourir. » Ce qui saisit le jury ; il fut condamné à vivre[1].

Le 15 juin 1793, Goullin avait eu l’heureuse initiative de réunir dans Saint-Pierre et de faire fraterniser, manger ensemble les partis réconciliés, qui jurèrent de défendre Nantes.

Le même homme, au 8 novembre, quand les républicains défaits ne couvrirent plus Nantes, quand elle se voyait sans troupes, quand les prisonniers

  1. J’ai sous les yeux l’autographe du dernier mot lu par Goullin, dans la nuit du 15-16 décembre 1794, au moment où le jury se retirait pour prononcer sur son sort. L’écriture est belle, facile, chaleureuse et vivante, très visiblement hardie : « Ce n’est pas pour moi que je prends la parole… Pendant le cours entier de la procédure, je fus constamment vrai. Je tâchai même d’être grand sur la sellette comme on me reproche de l’avoir été dans le fauteuil du comité. Mais je n’ai rempli que la moitié de mon devoir. L’heure de la liberté ou de la mort va sonner, et ce n’est pas à l’instant du péril que Goullin reculera. Enfiévré de patriotisme, poussé jusqu’au délire par l’exemple de Carrier, je fus plus coupable à moi seul que le comité tout entier. C’est moi qui fis passer dans l’âme de mes collègues cette chaleur brûlante dont j’étais consumé. C’est leur excès de confiance dans mon désintéressement, mon républicanisme, mes vertus, j’ose le dire, qui les a perdus. Je suis, avec les intentions les plus pures, le bourreau de mes camarades. S’il faut des victimes au peuple, je m’offre. Indulgence pour eux ! Que le glaive de la loi s’appesantisse sur moi seul ! Que j’emporte dans la tombe la consolation de sauver la vie à des frères, à des patriotes ! Mon nom, si la Loi le proscrit, vivra du moins dans la mémoire de ceux pour lesquels je me dévouai. Puisse mon sang consolider la République !… Puisse-t-il imprimer une leçon terrible aux fonctionnaires audacieux qui seraient tentés de méconnaître les lois et d’outrepasser leurs pouvoirs. » (Collection de M. Dugast-Matifeux.)