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L’homme qui dit le mot fatal était une tête volcanique, arrivée de Saint-Domingue, un planteur. Nous avons dit que le premier des massacreurs de Paris avait été de même un planteur, Fournier dit l’Américain.

Nantes, fort engraissée de la traite, riche, splendide en 1789, parlant beaucoup de liberté, vit avec effroi Saint-Domingue faire écho à ses paroles, et fut tout à coup submergée d’un monde de réfugiés qui arrivait d’Amérique. Il y avait bon nombre de nègres ; elle les enrégimenta, en fit d’excellents escadrons très braves, mais très féroces, terribles aux prisonnières surtout. Les nègres disaient : « Ce sont nos esclaves. »

Des créoles réfugiés le plus brillant était Goullin, homme du monde, homme élégant, spirituel, éloquent même, doué d’une fine et exquise sensibilité nerveuse (il ne pouvait voir la mort) ; et, en même temps, chose étrange, ignorant tout à fait le prix de la vie humaine, manquant d’un sens entièrement, celui de l’humanité. Qu’est-ce que la vie aux colonies ? Que pèse celle d’un nègre ? Un prisonnier, pour Goullin, n’était rien qu’un nègre blanc.

Le malheur voulut encore que ce violent créole qui influa sur le sort de Nantes, autant que Carrier, était, comme lui, maladif. Il sortait, en 1793, d’une grande maladie nerveuse, dont il avait conservé l’irritabilité, la fébrile exaltation. Elle pouvait le porter au crime ou à l’héroïsme.

Les hommes dans cet état ont des puissances