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Ces amendements sévères étaient, dira-t-on, un moyen d’effrayer la Compagnie, ses agents Chabot, Delaunay, Julien, et d’en tirer de l’argent. Qui prouve cette intention ? Chabot déclara qu’on lui avait donné cent mille francs pour corrompre Fabre, mais il dit aussi qu’il n’osa lui en parler ; il les garda discrètement[1].

Quand Fabre vint, le 17 novembre, au Comité de sûreté, on lui montra la première minute chargée de ses notes, toutes signées de lui, toutes dans l’intérêt de l’État. Personne ne s’avisa alors d’avancer que la surcharge, excepté ceux faits en fraude, qu’on voit sur cette minute, fût de l’écriture de Fabre. Est-il sûr que cette surcharge existât à cette époque ?

Ce fut le 19 décembre, le lendemain du jour où

  1. Il faut lire la déposition du capucin, très curieuse, et ses lettres à Robespierre. Parmi un monde de mensonge, il y a beaucoup de choses vraies qui jettent un grand jour sur ce temps. « Le tout vint par un hasard, dit Chabot. Julien (de Toulouse) nous invita, Bazire et moi, à dîner à la campagne avec des filles. » 11 se trouva que la maison était celle du petit baron de Batz (agioteur royaliste). Là se trouvaient le banquier Benoît (d’Angers), le corrupteur principal, le représentant Delaunay (putain à vendre au premier venu, c’est le mot même de Chabot), la comtesse de Beaufort, maîtresse de Julien, enfin le poète La Harpe. Dans cette rencontre, et autres, Bazire fut inébranlable ; il dit aux banquiers qu’on les attrapait ; qu’ils seraient bien sots de donner leur argent à des fripons pour des choses impossibles. Ce baron de Batz était si audacieux qu’il écrivait à Robespierre même. Connaissant sa mortelle haine pour Cambon, il lui adressait des plans de finances pour faire sauter son ennemi. Chabot, pour plaire à Robespierre, ne manque pas dans sa déposition de placer Cambon parmi ceux qui agiotaient. « On assure encore, dit-il, que Billaud-Varennes spécule sur les blés. » Le scélérat veut tellement plaire qu’il nommerait tout le monde. Il nomme Camille Desmoulins !… Sa furieuse envie de vivre lui fait accuser ses amis. Il fait pourtant exception pour Fabre et Bazire « Fabre, dit-il, ne spéculait ni dans un sens ni dans l’autre. »