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la pièce fatale, ne montrassent rien au jury et tirassent de ce misérable jury (trié, trompé, terrorisé, et qui résista pourtant) un pur et simple acte de foi, un assassinat sur parole[1].

Il y a des surcharges de Fabre, comme il le déclara lui-même dès le 17 novembre, au moment de la dénonciation de Chabot contre Delaunay.

Mais ces surcharges sont faites au crayon, sur la première minute, qui ne fut point adoptée ; elles sont toutes signées de lui et elles sont honorables ; ce sont des amendements qu’il propose pour empêcher la Compagnie d’éluder le décret.

  1. Absent de Paris, je m’adressai à une personne qui m’inspirait toute confiance, plus que moi-même peut-être, parce qu’en cette grave question elle arrivait neuve et se trouvait moins émue. Je la priai de demander aux Archives la pièce fatale. Elle subsiste par miracle. L’examen a été fait froidement, consciencieusement, sans système ni parti pris, par un homme très sérieux, d’une probité bretonne (M. Lejean, de Morlaix), jeune homme d’une maturité rare, critique d’un coup d’œil sûr, comme ses livres en témoignent, et qui, par ses études habituelles dans les manuscrits de tout âge, semblait très particulièrement préparé à cet examen. — L’écriture de Fabre, forte et vivante plus que belle, allongée, sans facilité, pénible parfois et dure, comme sont souvent ses vers, est frappante ; on ne l’oublie plus dès qu’on l’a vue une fois. C’est celle d’un homme ardent, laborieux, habitué à lutter contre sa pensée. L’écriture des deux surcharges n’est ni de Fabre, ni de Delaunay, ni d’aucun des accusés ; visiblement elle n’est pas d’un député, d’un homme d’affaires, d’un homme, mais d’une plume, d’un de ces braves employés dont la définition complète est celle-ci : une belle main. Jamais crime si innocent dans la forme, ni plus manifestement fait en conscience et de bonne foi. L’irréprochable commis y a mis sa meilleure plume, sa meilleure ronde ; il a écrit à main posée d’une encre noire et luisante, avec la sécurité de celui qui peut dire : « Je l’ai écrit, mais non lu. » — Ces surcharges auront pu être insinuées verbalement. On aura pu dire au bonhomme qui avait écrit la pièce : « Vous aviez oublié ceci. » Il se sera excusé, et consciencieusement, soigneusement, aura fait le faux. — Maintenant les surcharges furent-elles ordonnées par Delaunay, Chabot, Benoit ? ou par ceux qui voulaient les attribuer à Fabre d’Églantine ? C’est ce qu’on ne peut déterminer, ni le temps où elles furent faites. Nous ne savons quel jour Cambon les a vues pour la première fois.