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sèrent ; les voisins ne s’aperçurent plus de la présence des morts.

Le lendemain de la terrible loi de prairial, qui devait tellement accélérer la machine révolutionnaire, on décida que les exécutions n’auraient plus lieu à la place de la Révolution, qu’elles se feraient à la place Saint-Antoine (ou de la Bastille). Dès longtemps, la rue Saint-Honoré se plaignait du passage des fatales charrettes ; ce quartier, le plus brillant alors, le plus commerçant de Paris, était inondé à ces heures d’un flot d’aboyeurs mercenaires et des furies de guillotine, affreux acteurs, toujours les mêmes, qui mettaient en fuite la population ; même après, la rue en restait attristée et funestée.

Cette décision du 23 fut réformée le 24. La place de la Bastille est un lieu de grand passage où arrivent nos routes de l’Est. C’est un centre de commerce pour les deux grands arts du faubourg, le fer et le bois, pour l’ébénisterie surtout et la fabrication des meubles, qui emploient des milliers de personnes. Cette place où fut la Bastille, où sur ses ruines on mit pour la fête du 10 août la Nature aux cent mamelles, où s’accomplit la scène la plus belle et la plus touchante de 1793, la communion de l’eau sainte entre nos départements, c’était le lieu sacro-saint de la Révolution, bien plus que la place qui sépare les Tuileries des Champs-Elysées. La souiller du sang des aristocrates, c’était un sacrilège qui devait blesser fort la délicatesse patriotique du faubourg.